mercredi 25 janvier 2006




13° Médiatisation de la cause homosexuelle


L'actualité est faite d'un étrange mélange d'horreurs et de grandes joies. Au nombre de ces dernières, il n'existe pratiquement plus d'un bulletin d'information radio ou télévisé d'où l'homosexualité soit absente, et chaque fois qu'on en parle, c'est pour la défendre ou pour en dire du bien. Cela fait toujours du bien à un vieux militant.

Certes, il y a bien les pendaisons en Iran, les lynchages au Nigéria et à la Jamaïque, mais même ces événements-là sont présentés comme des horreurs et suscitent des protestations officielles des pays civilisés. Civilisés depuis pas si longtemps que cela, puisque je me souviens fort bien de ce que pouvait être la présence médiatique de l'homosexualité dans le baby-boom d'après-guerre qui m'a vu naître.

Les rescapés des camps de concentration encore vivants étaient alors relativement nombreux, -- j'en ai connu un certain nombre étant enfant --, et ils travaillaient alors pour obtenir réparation par la société des horreurs qu'ils avaient subies. Tous, sauf les déportés homosexuels qui, comme Pierre Seel, -- mais il y en avait d'autres à l'époque --, préféraient taire leur déportation et se réinsérer dans le silence et la douleur au sein d'une société qui ne les aurait pas reconnus comme tels. Revendiquer leur déportation en tant qu'homosexuels équivalait pour eux à changer d'enfer, certainement pas à se reconstruire.

Je me souviens aussi de mes premières Gay Pride, de la toute première où nous étions quelques centaines, et où j'ai dû remettre mon casque de moto pour passer rue de Rivoli, au niveau de Saint-Paul, pour me protéger des projectiles que les habitants de certaines maisons jetaient sur notre maigre cortège. Je souhaite bien du courage nos amis polonais qui en sont aujourd'hui là où nous en étions il y a 25 ans.

Je me souviens aussi cette Gay Pride, qui quelques années plus tard, avait rassemblé quelques milliers d'entre nous, et où le spectacle de trois cents mètres de rue noire d’une foule homosexuelle m'avait donné les larmes aux yeux et permis enfin de croire que ces années de catacombes, de militance obscure, de travail ingrat dans des associations chaotiques, d'humiliation subies est jamais réparées comme le suicide explicite de plusieurs de mes camarades de classe, comme mon expulsion de mon logement pour homosexualité en 1970, portaient enfin leurs fruits.

Aussi, ma petite vie de retraité d'aujourd'hui est-elle parsemée de délices, puisque chaque fois que j'allume la radio ou la télévision, je constate la présence quasi quotidienne de l'homosexualité dans le tissu médiatique. Ici, on vient de reconnaître les couples gays, d’accepter de les marier, voire de leur conférer le droit d'adoption, là, le Parlement européen, à une large majorité, vote une résolution imposant la lutte contre l'homophobie qui mouche les mauvais élèves de l'Europe, renvoie au Moyen Âge les homophobes de tout poil et impose le respect de notre minorité à tout notre continent.

Et cerise sur le gâteau, on vient de condamner le député Vanneste ! Les institutions donnent tort à un député homophobe ! Ce qui paraît banal à un jeune d'aujourd'hui qui s'est approprié sans scrupule les libertés homosexuelles comme un dû en rejetant aux oubliettes les pauvres anciens auxquels ils les doivent est en réalité un événement de première grandeur. Il signifie clairement que le discours homophobe dans ce pays a définitivement perdu son statut d'opinion respectable et entre désormais au rayon des horreurs de l'inquisition et des régimes totalitaires. Certes, la liberté, au contraire de la pile Wonder, s’use lorsque l'on ne s'en sert pas, et il faudra presque autant de travail pour conserver cet acquis qu'il en a fallu pour l'obtenir. Restons vigilants ! Il demeure qu'une liberté maintenant reconnue par les tribunaux et les institutions parlementaires ne sera plus aussi facile à déboulonner…

Condamné à 3000 € d'amende, à quelques milliers d'euros d’indemnité aux associations plaignantes… Fort bien. Le principal, à mon avis, est ce qu'on le dit pas assez fort : l'imprécateur est également condamné à publier le jugement dont il est l'objet dans la Voix du Nord, l'Express et le Monde. C'est à mes yeux la partie la plus importante de ce jugement, les amende et dommages et intérêts ne sont que des sanctions administratives, l'obligation de publier le jugement dans la presse révèle la volonté des pouvoirs publics de faire évoluer les mentalités. Et ça, c'est notre victoire.

Sans doute l’inconscient ira-t-il en appel, voire en cassation, et sans doute même à la Cour Européenne, d'où il se fera jeter de la même manière. Le Parlement européen vient de voter une importante directive anti-homophobe, ce n'est pas pour que son tribunal se prononce dans le sens contraire ! Comme tous les irréductibles qui vont trop loin, il poussera son obstination jusqu'au contre-productif, déshonorera les idées qu'il a voulu promouvoir et deviendra à son corps défendant un des contre-exemples qui nous manquaient pour installer définitivement la lutte contre l'homophobie à l'aréopage des droits de l'homme.

Un petit mot sur « Brokeback Mountain »… Difficile sans raconter le film et gâcher l'émotion de ceux qu'ils ne l'ont pas encore vu. L'oeuvre traite avec un égal bonheur de l'amour hétérosexuel, de l'amour homosexuel et de l'homophobie. Elle constitue également un effroyable documentaire sur l'Amérique profonde, de ses conditions de vie à ses mentalités. Ce film réussit le tour de force de ne pas être antiaméricain tout en anéantissant le mythe de l'american way of life. À voir absolument… Sauf si vous habitez à Salt Lake City, dans l’Utah, où le film, malgré ses récompenses internationales, a été retiré de la programmation du « Megaplex 17 », 1256 Jordan Commons, 9335 S, St.Sandy le plus grand cinéma de Salt Lake, sur décision de Harry Miller, son propriétaire, pilier de la municipalité mormone qui préside aux destinées de la ville… A chacun son Vanneste…




Aucun commentaire: