samedi 3 février 2007

82° Boys Cultur

Les « voyants extra-lucides » décrypteurs de branchitude à venir nous le présentent comme un futur film culte. Laissez moi rire. Vous ne verrez l'image ci-contre que sur l’affiche. Elle n’est pas tirée du film.

Dommage que le réalisateur Q. Allan Broca, que nous connaissions déjà pour son très américain mais néanmoins plein d’humour « Eating Out » ait voulu se mettre à faire de la télévision. Car ce « Boys Cultur » ne fera jamais qu’un médiocre feuilleton à forte concentration de poncifs pour creux d’après midi pluvieuse si on s’ennuie à une tupperware party.

Tout le monde ne peut pas faire « Shortbus », (voir mon article n° 69 ), mais depuis que ce film mémorable existe, il faudrait que messieurs les réalisateurs comprennent qu’on a changé de siècle.

Certes, Allan Broca est gay, et même peut-être un peu tante si j’en juge par la sensibilité très mièvre de son documentaire sur la vie des animaux. Malheureusement, la vision qu’il nous en donne est celle du cinéma hollywoodien de l’entre-deux guerres, la caméra n’est jamais devant les portes entrebâillées, par lesquelles les personnage regardent les autres s’ébattre, et les acteurs n’y apparaissent au lit qu’avec le drap remonté au-dessus du nombril. Humprey Bogart faisait déjà ça en 1939. Et même Feydeau avant lui.

Ne venez pas me dire que je suis un vieil obsédé qui voudrait que tous les films deviennent pornographiques. Sinon, relisez mon fameux article n° 69. Il faut juste se donner les moyens de traiter les sujets que l’on a choisis. Souvenons nous que dans le théâtre classique, on ne se bat jamais ni ne se tue sur scène. Souvenons nous que c’est du haut des remparts que Chimène voit Rodrigue tuer son père Don Gormas. Pas question de croiser le fer sur la scène.

Depuis, le temps est passé, l’histoire s’est écrite. On tue sur scène et aussi à l’écran. Parfois trop d’ailleurs. Mais le cinéma a acquis des formes qui lui permettent, justement de cesser d’être formel, sauf par jeu (Dogme 95). Il faut donc se donner maintenant les moyens des sujets que l’on choisit.

Je suis contre le mot « homosexuel » parce qu’il contient le mot « sexe » qui réduit à la chair une relation dont la richesse se situe largement sur d’autres terrains. Mais refuser la réduction au physique ne signifie pas pour autant qu’il faille en éradiquer la moindre manifestation.

Si on appliquait ce dogme idiot justement au mot « homosexuel », les films sur le sujet ne pourraient précisément pas être autrement que pornographiques, puisque le mot même qui nous désigne nous suppose dépourvus de sentiments… L’égalité des sexualités exige donc qu’on se donne la peine de traiter le relationnel et les choses de l’amour dans toutes leurs dimensions.

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Le cinéma « hétérosexuel » a déjà bien du mal à évoluer dans ce sens, puisque les deux principaux producteurs, les USA et l’Inde, et beaucoup d’autres pays d’où émerge un cinéma balbutiant mais prometteur sont paralysés par des principes religieux invalidants. C’est pourquoi nombre d’hétéros attendent du cinéma gay qu’il « relève la tête » dans son expression comme la communauté a su le faire dans le contexte social.

« Shortbus » était allé plus loin, magiquement plus loin, en nous inventant un cinéma « métrosexuel » dont le traitement global réunissait enfin harmonieusement tous les ingrédients du relationnel dans un harmonieux équilibre des corps et des coeurs.

Maintenant que la voie est ouverte, il faut la suivre. Le temps des Amitiés Particulières et du cinéma underground est révolu. Il faut avancer. Soit on fait un film d’époque, soit on s’amuse à faire une parodie de feuilleton télé, mais si on veut traiter un sujet d’actualité, il faut nous faire un film moderne.

Les quatre caricatures de Boys Cultur sont aux antipodes de cette gageure. Nous avons un gigolo intraitable, qui ne jouit que pour de l’argent, et dont la seule performance semble se borner à pouvoir paraître tous les matins rasé de trois jours, un étudiant opiniâtrement romantique, noir dans un rôle positif qui donne la touche de « politiquement correct » au sujet, un grand ado qui n’a que son charme et rien d’autre, co-locataire sans argent adopté par les premiers sans pour autant payer en nature (comme c’est crédible..) , et un vieux gay qui a passé toute son existence dans le placard et semble concevoir quelques regret devant le gâchis dont il a fait l’œuvre de sa vie.

On aurait pu faire un film intéressant sur la prostitution, mais on ne le fait pas. Le gigolo roule sur l’or, gère ses gains avec maestria au point de pouvoir prendre sa retraite à trente ans pour vivre de ses rentes, (comme au cinéma), et ne se pose jamais de question existentielle. On aurait pu faire un film sur le coming-out, mais la famille hypercatho de l’étudiant noir avait devancé avec brio la révélation de l’homosexualité de son fils. On aurait pu faire un film sur la frustration, mais l’homme qui a vécu soixante ans de placard a un rôle d’intellectuel équilibré détenteur de vérité, on aurait pu faire un film sur les ados perdus, mais le charmant Joey qui partage la maison d’un gigolo et passe sa vie en boîte est saisi par une grâce tombé d’on ne sait où comme un feuillet s’échappe du scénario et reprend ses études un beau matin avec sérieux et application.

Bref, on aurait pu faire un film.

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