vendredi 23 novembre 2007

131° Nous les vivants.

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J’étais en manque d’un certain cinéma depuis la disparition de Fellini, de Buñuel et de quelques autres grands symbolistes du 7° art .

Les programmes me rendent perplexe : si j’écarte systématiquement les histoires de cocus, de crimes, de flics, de bandits, d’espions tapageurs, de super héros et de vive l’Amérique, il ne reste plus grand-chose pour nous faire rêver dans le théâtre de lumière, comme l’appelait John Huston, théâtre que le progrès a d’ailleurs réduit à l’état de cube lisse et impersonnel.

Eh bien si : ne jetez pas forcément votre Prozac, car tout ce qui est drôle n’est pas forcément gai, et allez voir « Nous les vivants » pendant que vous faites encore partie de ceux-là.

C’est de l’humour suédois, d’un monsieur Roy Andersson, avec deux s, à qui on devait déjà un « Chansons du deuxième étage » que j’avais failli aller voir en 2000 lors de sa sortie, et finalement négligé.

Les caméras de monsieur Andersson avec deux s ne bougent jamais. On les pose là, pour faire de longs plans fixes, et ce sont les comédiens qui, comme au théâtre, se débrouillent pour rester devant. Il faut donc être très vigilant : c’est parfois un détail de quelques centimètres sur l’écran qui donne tout son sens à la scène : le petit truc qui bouge là bas dans le coin, la croix gammée qui apparaît en marqueterie sur la table lorsqu’on en ôte accidentellement la nappe, l’enfant qui bouge au milieu d’un immense parterre de figurants si immobiles qu’ils semblent appartenir au décor, je vous laisse jouer au jeu de piste de cet imbroglio symbolique.

De ce théâtre filmé, on retient aussi les décors, assez carton-pâte pour qu’on voie bien qu’ils en sont faits, et assez bien léchés pour qu’on ne sache plus très bien où s’arrête le décor et où commence le vrai. Avec un extraordinaire préalable : tous les murs sont gris. Tous les appart, les maisons, les magasins, les bars, les écoles, les bureaux, les hôpitaux, les hall d’immeuble, les églises, tous les lieux où se déroule l’action ont des murs et des sols d’un même gris uniforme de science fiction.

Monsieur Andersson avec deux s connaît aussi son Jacques Tati par cœur et s’attarde avec tendresse sur les petits gestes désuets, répétitifs et souvent inutiles de notre existence, toutes ces conventions stupides qui rendent le gentleman d’autant plus ridicule qu’il veut se démarquer de monsieur tout le monde.

En suivant le leit-motiv de l’hélicon plon plon cher à Fellini et à Bobby Lapointe, on se transporte au gré d’une action qui n’existe pas à travers les tribulations de personnages maquillés à la CineCitta et qui sont tous laids sauf les deux de l’affiche, encore que… je ne vous raconte pas le film.

Allez, encore quelques clés, l’avion qu’on voit à un certain moment est bien un B52, le bombardier américain ultime, celui-là même qu’on voit dans le Docteur Folamour d’un certain Stanley Kubrick.

Bref, si vous aimez rêver, planer, si vous en avez marre des amants qui se déchirent, des minables qui s’entretuent pour un sac d’oseille, des voitures qui volent, des connards qui empêchent les avions d’aller où ils veulent, des flics, des serial killers, de chambres de torture, des héros amerloques et autres must du cinéma actuel, allez voir les étranges morts-vivants de «Nous les vivants ».

Chez les vivants de chez nous, ceux qui ne rêvent pas et ne vont pas au cinéma, -bien heureux lorsqu’ils le tolèrent-, nous avons encore une très belle histoire de justice saoudienne. Une dépêche de l’AFP du 16 novembre nous apprend qu’un tribunal de Qatif, charmante oasis proche de la côte occidentale du golfe Persique, a eu à connaître d’une affaire de viol dans laquelle sept jeunes mâles avaient emmené en automobile aux confins du désert une jeune fille de 19 ans afin de s’y livrer à ce que nous appelons chez nous une tournante. Comme quoi la civilisation occidentale répand ses bienfaits jusque dans les terres les plus lointaines.

Les violeurs ont été condamnés à des peines de deux à neuf ans d’emprisonnement, ce qui paraît quasi-civilisé, mais la jeune fille…. à 90 coups de fouet pour avoir exalté la virilité de ses agresseurs en acceptant de monter dans leur automobile.

Voilà un pays où les femmes n’ont pas le droit de conduire une voiture, mais quand elles y montent accompagnées, on les fouette. Subtilité de la charia : il aurait fallu que le conducteur soit un membre de la famille. Quand on sait que 60% des viols et 85% des affaires de pédophilie se déroulent dans le giron familial, on saisit tout le modernisme de la loi islamique.

Bref, scandalisée par cette injustice, la jeune fille a fait appel. Après examen, la cour d’appel a confirmé la peine des violeurs, mais augmenté la sienne à 200 coups de fouets. Les 90 premiers confirmés pour son escapade en voiture, 90 autres pour avoir organisé un remue ménage médiatique autour de ce qu’elle estimait être une injustice, et 20 pour avoir osé faire appel de l’application de la charia. On ne commente pas une décision de justice. Affaire suivante.

Notre président à haut débit vient de découvrir l’utilité des ministres. A vouloir tout faire soi-même, on se retrouve en position de responsable lorsque les choses ne vont pas comme ont les a rêvées. Du coup, François Fillon et Xavier Bertrand ont eu pendant cette grève toutes les occasions de se griller pour protéger le responsable mais pas coupable qui a foutu le feu partout et regarde maintenant, comme Néron, l’incendie se propager. Car si les trains se sont provisoirement remis à rouler, il reste la réforme de la justice et le mécontentement étudiant et même lycéen dont l’ébullition frise avec le bord de la casserole. Sans parler des mal logés ou de toute autre catégorie de non nantis déjà déclarés ou à venir qui ont été largement servis par le généreux épandage d’injustices et de calamités prodigué par je-suis-partout.

La dernière en date étant son projet de voyage à Pékin pour demain. De bonnes fées humanistes se sont penchées sur cette occasion pour demander à notre élu d’entretenir les Chinois de petits problèmes qui agacent chez nous et tuent chez eux.

Ainsi Reporters Sans Frontières, -un site indispensable à mettre dans vos favoris-, a-t-il demandé au président de parler en Chine des droits de l’homme en général, de ceux des journalistes en particulier, et à l’occasion de ceux des cyber-dissidents, ces blogueurs trop libres emprisonnés grâce aux renseignements fournis par Yahoo.

http://www.rsf.org/rubrique.php3?id_rubrique=30

http://www.rsf.org/rubrique.php3?id_rubrique=272

http://www.rsf.org/article.php3?id_article=24366

Ainsi les organisations LGBT ont-elles demandé à notre président de tous les Français de mettre sur le tapis la situation des gays chinois, qui devraient être au nombre de 140 millions, si on applique à la population locale les indiscutables chiffres de Kinsey.

Que nenni. La priorité sera donnée aux droits des… ayants droits. Hermes, Vuitton, LVMH, Microsoft et les majors américaines trouveront dans notre émissaire un avocat tout dévoué à la défense de leurs situations désespérées. Les autres attendront encore un peu. On ne commente pas une décision d’injustice. Affaire suivante !...

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