mardi 25 décembre 2007

139° Y a de l'eau bénite dans mes pop corn !

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Alerte à l'imposture.

Je me souviens d’un livre qui avait terrorisé mes nuits adolescentes. L’histoire de ce brave homme barricadé dans une maison dont les vampires, chaque nuit, venaient secouer les volets pour l’inviter à les rejoindre.

Affiche Warner Bros

Cet ouvrage était bien davantage qu’un simple livre de vampires à la Bram Stoker. Périmant le vampire romantique, il créait le personnage du vampire moderne, échappé de Transsylvanie sub-Cartpathique pour vivre en Amérique, « là où ça se passe ». . Il avait contribué, par son symbolisme, à ouvrir mes yeux de jeune homme né juste après la guerre sur les vérités de la vie. Il posait de vraies questions. La suprématie de l’homme est-elle légitime ? A quoi sert dieu, sinon à la légitimer en en faisant la créature d’un machin indiscutable par hypothèse ? La civilisation est-elle sur la bonne voie ? L’humanité est-elle faillible ?

D’abord, Richard Matheson, son auteur, est un vrai visionnaire : dans le livre, l’origine de l’épidémie est la pollution, et le monde des vampires un monde possible, qui d’ailleurs, triomphe à la fin comme plus adapté à la planète dévastée par l’homme revenu à l’état de bête.

C’était la première fois, à la fin des années 60, que j’entendais parler d’écologie et de catastrophe du même nom. C’était la première fois que le comportement ordinaire de l’homme était désigné comme responsable de la déroute de la civilisation. C’était la première fois que l’homme perdait sa suprématie sur la terre.

Zappé. Dans le film, l’homme est parfait, il a juste fait une boulette avec un vaccin qui dégénère. Pas un instant, il ne remet en cause ses manières, sa façon d’être et de vivre, the american way of life. Le survivant travaille et se sacrifie dans le seul but de rétablir sur la planète un ordre humain identique à celui qui régnait avant l’accident. Le scénario évite les questions gênantes : c’est un vulgaire vaccin qui tourne mal qui est à l’origine de la contamination, thème moult fois repris avec diverses variantes dans les ouvrages d’épouvantes à trois balles : d’habitude, soit le virus vient de l’espace, soit c’est l’œuvre d’un savant fou au service d’un dictateur encore plus fou. Bref, ce n’est jamais vraiment de la faute de l’homme. Ce genre de film exempte l’homme de toute responsabilité collective sur les désordres qu’il décrit, et ouvre la porte ou la fenêtre au héros, toujours américain, qui va sauver la planète.

Dans le livre cohabitent deux sociétés qui évoluent à leur manière chacune de leur côté : d’une part, le survivant dans sa maison barricadée qui tente bien de trouver la parade au vampirisme avec quelques éprouvettes, mais dont le moral s’étiole et qui dérive dans l’alcoolisme pendant ses longues nuits d’angoisse. En face, le monde des vampires, parfaitement conscient de son état, un vrai monde qui pose les bases d’une nouvelle société adaptée, justement, à sa nature vampirique, crée, évolue, et entreprend des recherches pour s’insensibiliser à la lumière du jour.

Dans le film, le survivant est un colonel d’une prestigieuse unité de marines, suréquipé, qui cultive ses muscles rebondis sur des machines de training, bénéficie d’une électricité et d’une eau courante tombées d’on ne sait où, d’un laboratoire high tech informatisé à donf, et du savoir ad-hoc. Il est médecin, comme par hasard, et bien sûr c’est lui qui va trouver la potion magique pour rétablir l’ordre biblique avant de tomber au front et de mériter la grande croix des braves.

Dans le film toujours, les vampires ont une activité cérébrale nulle, ce sont nuit et jour des bêtes assoiffées de sang, incapables de penser à autre chose qu’à vampiriser.

Aucune créature ne saurait concurrencer l’homme, créature de dieu, (attendez la suite…), dans son hégémonie sur la planète. Pas question que ces choses-là se mettent à organiser une civilisation…

En décrivant parallèlement l’évolution du monde des vampires et du microcosme du survivant qui coexistent pendant la durée du récit, le livre pose honnêtement la question gênante de savoir qui de « l’homme d’avant » ou du « vampire muté » sera le plus capable de conduire une nouvelle civilisation adaptée à la planète dévastée. Au bout du village, les vampires communiquent, constatent leur état, cherchent des solutions, s’organisent.

Le film ne se pose pas tant de problèmes : l’homme est seul détenteur de toute velléité de civilisation, de toute aptitude à la suprématie. Il nous raconte l’invasion des morts-vivants uniquement du point de vue de l’assiégé, en nous égrenant tous les larmoiements hollywoodiens possibles (instauration de la quarantaine, départ de l’épouse et de l’enfant, leur disparition supposée, leurs portraits omniprésents, la mort du chien, le poids de la solitude). Il ne donne du monde des vampires que la vision d’un marigot de crocodiles, avec la perspective des sacs Vuitton en moins. C’est plus simple, et surtout plus… biblique. On y vient, petit à petit, l’oiseau fait son nid.

Dans le livre, il y a négociation entre les vampires et l’homme. Dans le film, l’homme défouraille à l’arme lourde sur des vampires qui éclatent au plafond comme dans un jeu vidéo, négocie au napalm, et joue à les écraser avec son 4x4. Faut être moderne, contribuer au défoulement des masses, mais surtout pas à leur réflexion.

Le dernier chapitre du livre laisse un monde où les valeurs sont inversées : les vampires mettent au point leur traitement d’insensibilisation à la lumière du soleil, adaptent leur mode de vie à la planète dévastée, se constituent en collectivité cohérente, renoncent à « se guérir » complètement, et décident de vivre dans ce nouvel ordre. Seul obstacle, le survivant sera condamné à disparaître par un tribunal, mais les vampires lui rendront les honneurs à leur manière.

Le vampire, symbole du mal et du diable, s’est emparé de la terre, l’homme devient légende par la grâce et aux yeux des vampires, (d’où le titre) et la « créature du diable » devient l’humanité de demain, sans dieu et sans poisson le vendredi.

Mais, au trois quarts du film, on sort brutalement du livre. On connaissait les détournements d’avion, voici les détournements de bouquin ! Merci Matheson pour les quelques idées de départ pillées qu’on a cuisinées à notre manière, mais on n’a plus besoin de toi. Ta fin ne nous plait pas, on va en faire une lue et approuvée par les autorités politiques et religieuses. On dirait un manuscrit revu par l’inquisition !

Photo presse Warner Bros France

A partir d’ici, toute ressemblance avec le livre serait le résultat d’une coïncidence qui aurait échappé aux scénaristes du film !

Une survivante vient à la rencontre de notre survivant. Et là, le loup sort du bois. Un dialogue surréaliste s'engage:

« Comment m’avez-vous trouvé ? »

« J’ai écouté dieu, et c’est dieu qui m’a guidée ».

« Qu’allez-vous faire maintenant ? »

« Aller dans un camp de survivants qui se trouve dans la montagne ».

« Comment savez-vous que ce camp existe et où il se trouve ? ? »

« C’est dieu qui me l’a dit ».

On s’accroche au fauteuil… L’opérateur a mélangé ses bobines avec celles de la salle paroissiale ? Non, non, vous n’avez pas rêvé ! C’est le même film qui continue. En quelques secondes, une superproduction hollywoodienne devient une parabole de prédicateur de banlieue.

Et Will Smith devient une légende, non plus comme le dernier survivant d’un monde révolu, reconnu comme tel par ses successeurs, mais un vrai héros américain, celui qui a trouvé le vaccin avant de se sacrifier, fiole que notre survivante va porter, comme une ampoule de saintes huiles, au village des survivants dont la fin nous réserve une vision « américaine » que je qualifierai « d’apocalyptique à l’envers ».

Dans une campagne verdoyante, une vue aérienne montre un village fortifié, genre village de Hobbits, quelques chaumières bucoliquement lovées autour de son église toute blanche, une paire de charrettes à cheval pour la touche d’ambiance amish-retour-case-départ. Lorsque les portes blindées de la muraille s’ouvrent, c’est le pasteur qui vient accueillir la fugitive et recueillir dans ses mains viriles et crevassées de travailleur laborieux l’éprouvette qui va rétablir l’hégémonie de l’ordre biblique.

C’était si beau qu’on recommence tout : Revoilà la conquête de l’ouest, avec ses petits villages chrétiens qui auront à pacifier des étendues hostiles peuplées de créatures qui se sont trompé de dieu.

Comme jadis les colons américains ont exterminé les indiens sans avoir songé à partager leur territoire ni même leur avoir déclaré la guerre, l’ordre de la bannière étoilée, telle un phénix dont aucun extincteur ne vient jamais à bout, va repartir de ce bout de village modèle de promoteur évangélique, pour s’étendre à nouveau sur la planète.

L’Amérique a encore sauvé le monde. Ça devient lassant, à la fin, d’être toujours sauvé malgré soi comme de vulgaires Irakiens, d’autant plus que l’histoire, en s’écrivant chaque jour, confirme ce que le visionnaire Matheson écrivait déjà en 1954 : ce n’est pas, et loin s’en faut, la manière américaine qui va bâtir le futur.

S’il existe un jour des révisionnistes en matière d’histoire des civilisations, et ça menace avec les éruptions créationnistes que l’on décèle ici et là, (voir mon billet n° 107), ce genre de film leur servira de référence. « S’il existe un jour » ! Je suis optimiste : ils existent déjà : le retour de manivelle biblique est déjà en route ! D’ailleurs, les croisades, la défense des valeurs chrétiennes, du mariage, de l’évangélisation forcée, du machisme des écritures, la lutte contre la contraception et l’avortement, l’homophobie n’ont-elles pas d’ores et déjà recommencé ?

Je trouve surprenant que l’auteur, âgé aujourd’hui de 81 ans, à qui l’on doit entre autres des scénarios pour Star Trek, la Quatrième Dimension, et des livres comme La maison des Damnés, les Seins de Glace et l’Homme qui rétrécit, ait laissé faire. D’habitude, ses ouvrages étaient matière à réflexion, et n’avaient rien d’une parabole pour prédicateur branchouille comme ce film, malencontreusement premier au box office lors de sa sortie un peu partout.

A détourner des ouvrages quasi philosophiques en vulgaires instruments de propagande biblique, à exalter la prééminence de ce dieu et de l’homme sa créature, à glorifier le modèle du colon qui va de son propre chef imposer une vérité sans écouter celle des autres, ce genre de film travaille en réalité de façon très productive à la perte de l’humanité en la confirmant dans le mythe de son infaillibilité. Le résultat atteint sera l’inverse du but proposé, mais comme les menées bibliques sont devenues des entreprises bien matérielles et qu’elles bouclent leurs comptes le 31 décembre de chaque année comme de vulgaires multinationales, elles se foutent éperdument des conséquences à long terme de leur business d’aujourd’hui.

L’homme a tellement raison qu’on va recommencer pareil. Les braves gens qui vont au cinéma maintenant ne gavent plus seulement leur bedaine de popcorn obésigènes, ils se confortent dans un prêt à penser qui, s’il continue à se répandre, feront que ni Matheson ni Aldous Huxley ne seront plus demain des auteurs de science fiction, mais des évangélistes du Nouvel Âge..

Dommage que ce film, aux moyens très conséquents, -quand on aime dieu on ne compte pas-, donne le spectacle surprenant des rues et places de New York les plus connues, désertes, abandonnées et envahies d’herbes folles. Tout cela a dû coûter bonbon, en tout cas le résultat est visuellement très spectaculaire. Mais ces jolis trucages valent-ils une leçon de catéchisme bêtifiant ?


Bon, je sais que c'est une fête religieuse, mais Joyeux Noël quand même !

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