mercredi 1 octobre 2008

201° Banqueroutes et états d'âmes


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Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais en observant l'actualité, j'ai l'impression de regarder déborder une marmite de lait; qu'il suffirait d'éteindre le gaz pour faire cesser le gâchis, mais que je suis pieds et poings liés devant cette évidente nécessité.


Pire: le reste du monde est constitué d'une majorité d'autres pauvres malheureux aussi impuissants que moi à changer les choses, et d'une ignoble minorité qui, elle, pourrait le faire mais cultive les plus abominables raisons de faire déborder le lait.


Les grands, quand ils jouent, assument leurs contradictions avec plus de perversité que les enfants, puisque là où ces derniers négligent les problèmes de cohérence de leurs désirs, nos dirigeants, eux, tentent de les justifier en élaborant des châteaux de cartes de sophismes, en déformant le sens des mots, en mentant de la manière la plus éhontée, en appelant au secours de leurs raisonnements tordus des valeurs qu'ils utilisent à contre emploi pour les autres mais s'abstiennent bien de pratiquer pour ce qui les concerne, bref en pratiquant une langue de bois qui est devenue le langage à peu près universel de notre personnel politique.


Alors qu'ils sont en train d'anéantir le peu de garanties que nous apportaient nos contrats de travail, leurs contrats de « travailleurs politiques » ou de dirigeants d'entreprises nommés à titre directement ou indirectement politique conservent un statut enviable de sécurité et de confort.


Certes, le siège éjectable y est chatouilleux, mais superbement réglé. Alors que celui de monsieur « jaipourtantbienbossé » l'enverra au mieux sur les parvis de l'ANPE, avec option d'admission temporaire s'il en remplit les exigeantes conditions, le trône basculant de monsieur « j'aibienfaitbosserlesautres » transférera en douceur son occupant sur un autre fauteuil fort opportunément disposé là pour le recueillir.


Mais avant cette pourtant peu périlleuse manœuvre, monsieur « j'aibienfaitbosserlesautres » aura été pourvu d'un opulent airbag rembourré de billets de banque, en principe destiné à le protéger des dangers de l'opération, mais qu'il sera chaleureusement invité à conserver à titre de souvenir de son club de vacances même si le sauvetage s'est déroulé sans accident.




Regardez le grand bazar outre atlantique. Les banques y étaient pétées d'oseille: on se lève un matin et on trouve les armoires vides. Personne ne se demande qui a enfourré le grisbi.


C'est un petit Français, que je n'ai pourtant pas l'habitude de défendre, qui va à la tribune de l'ONU demander qu'on punisse les coupables. Tu penses bien que les coupables ont loué des déguisements de victimes et pleurent partout que leur bateau prend l'eau, et que si on ne fait rien, il va couler avec plein de pauvres gens qui ont eu l'imprudence de s'y embarquer.



Alors, on improvise un plan pour sauver les banques. Plan qui ne fait pas l'unanimité. Et c'est là qu'intervient la mauvaise foi des médias qui ont presque tous une sympathie pour ceux qui veulent continuer à faire déborder le lait: On nous explique, à nous pauvres Français, que les Américains sont viscéralement contre les nationalisations, et que nombre d'entre eux préfèrent laisser crever la bête in natura que de pratiquer de l'acharnement thérapeutique. Vilain mensonge !



A part quelques tribuns qui espèrent faire dire à l'opinion publique autre chose que ce qu'elle pense, les Américains ne sont plus MacCarthystes depuis longtemps: Les nationalisations, ils ne sont pas forcément contre, à condition que leur pognon serve à acheter des vraies banques en état de marche, et pas la benne à ordures au fond de la cour.



S'ils sont contre le plan Paulson, c'est parce qu'on veut les prendre une deuxième fois pour des dindons: une fois déjà, on leur a donné confiance dans des établissements vérolés, et ce qu'on veut leur faire payer maintenant, ce n'est pas le malade convalescent, mais juste la vérole! Ce qui est récupérable, ce ne serait pas pour eux!


On comprend leur frilosité. D'autant plus que...


Si les banques sont en péril aujourd'hui, c'est parce qu'elles ont imprudemment accordé des crédits incontrôlables à des malheureux qui n'ont pas pu les contrôler. Or si on songe aujourd'hui à sauver les responsables, personne n'a songé une seconde à secourir les vraies victimes.






A ce jour, trois millions et demi d'Américains ont été brutalement expulsés, ont vu leurs meubles et leurs biens jetés à la rue et deux millions et demi d'entre eux sont SDF et survivent dans des villages de tentes...






L'ouragan Katrina n'avait pas fait autant de sans abris. Certes, on n'avait pas fait grand chose pour eux, mais au moins on avait regretté de les avoir oubliés. Mais pour les naufragés des subprimes, rien. Pas de mesure gouvernementale, pas de mesure sociale, pas de campagne de relogement, que dalle. L'Amérique dans toute sa splendeur.


Et la crise n'est pas perdue pour tout le monde: toutes ces maisons vidées de leurs occupants sont revendues aux enchères à vil prix, et immédiatement rachetées par des spéculateurs qui attendent des jours meilleurs pour les remettre sur le marché. Avec peut-être l'espoir de faire amortir leur transaction par une nouvelle génération de gogos qui auront cru pouvoir les acheter, et n'auront séjourné dedans que le temps qu'on leur fasse comprendre qu'on les avait niqués.


J'entends d'ici les hautaines et condescendantes objections de ceux qui avancent dans les chats d'internet derrière leurs diplômes comme des CRS derrière leurs boucliers : « Vous n'avez pas étudié l'économie, vous n'avez aucun diplôme, vous n'y comprenez rien, votre avis est le regrettable résultat de votre incompétence ».


Eh bien si la compétence conduit à diriger des entreprises qui font banqueroute, à transformer des millions d'honnêtes gens en SDF, et à faire payer les autres pour vos conneries, alors vive l'incompétence!


Parce que du haut de mon incompétence, j'ai parcouru la plus grande partie de mon existence sans ruiner personne, et les seuls dangers qui me guettent aujourd'hui résultent justement de l'incurie de ceux qui me traitent d'incompétent.



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