mardi 17 mai 2016

535° Et maintenant, le goulag à domicile !








Les pays de notre monde presque libre s’offusquent avec de grandes gesticulations médiatiques lorsque Erdogan ferme un journal d’opposition, lorsque « El Watan », journal koweitien d’opposition pourtant prospère ferme brutalement, ou lorsque la Russie assassine ses journalistes à la chaîne, que Poutine exerce son pouvoir sur les médias ou que la Chine purge et censure son internet.

On se dit qu’on a bien de la chance d’habiter ans un beau pays de liberté, et que c’est si bien que point n’est besoin d’être vigilant sur le sujet.

On a bien tort d’être insouciant. Grâce aux vertus maléfiques de l’état d’urgence, qui se prolonge à qui mieux-mieux, l’état français commence à glisser sur cette pente savonneuse.

Hélas... pareil titre pourrait être celui d'un brûlot d’extrême droite. Or ceux qui me connaissent savent que c'est tout le contraire, et que c'est bien un signal d'alarme que je tire en choisissant ce titre... 

Plusieurs dizaines de personnes ont reçu ce week-end des injonctions d’interdiction de séjour sur le périmètre des manifestations.

Le plus médiatisé était photographe de presse. Connu sous le nom de Nnoman, il œuvre pour le collectif OEIL (Our Eye Is Life), et réussit trop bien les images de brutalités policières. 

Devant un frémissement du monde médiatique, la préfecture de police a décidé « d’examiner à nouveau » le cas de ce photographe, et a levé ce matin son interdiction d’exercer.

Tiens, c’est curieux : la préfecture de police aurait donc pris un arrêté d’interdiction sans avoir « bien examiné » le cas du suspect ?
Peut-être comme les CRS qui abattent leur matraque sur des crânes sans avoir « bien examiné » la dangerosité de la cible ?

Mais les dizaines de manifestants et de délégués syndicaux interdits de manifs à Paris et à Nantes n’ont pas vu changer leur destin. Comme des hooligans interdits de stade, ils regarderont les manifs à la télévision, avec les images que ces messieurs des médias voudront bien nous montrer. On traite les délégués syndicaux comme des hooligans...

Parce que jusqu’à maintenant, il faut bien dire que la télé nous montre surtout des casseurs en action, -je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire-, mais elle ne compense pas vraiment avec des vues de marées humaines de protestataires qui emplissent nos cités…
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Pour voir des foules qui défilent ou des « brutalités policières », il faut plutôt chercher sur internet. D’ailleurs, dès qu’elle essaie d’interviewer un manifestant un peu agité, France 2, la télévision d’état, voit ses journalistes attaqués par une irruption policière.





Résultat de cette flagrante différence de traitement entre la presse professionnelle et les photographes amateurs : une forte perte de crédibilité de nos médias nationaux.

Mais ce que personne ne remarque, c’est l’étrange libellé de l’arrêté d’interdiction préfectoral que chacun d’eux a reçu.

Alors que les demandes d’autorisation de manifestation font état d’une manifestation contre « la loi Travail, dite loi El Khomri », les arrêtés d’interdiction prennent le loisir de faire un panégyrique de ladite loi.

Ce n’est plus « la loi travail », mais «  le projet de loi instituant de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs »

Il n’est pas mentionné « El Khomri soit louée », mais on sent que ça les a démangé ! 




Il y a comme une dérive. Dérive des institutions qui utilisent contre des manifestations à objectif social un état d’urgence qui a été décrété pour faire face à des actes terroristes.

Dérive autoritaire d’un pouvoir qui s’en prend à ses contradicteurs au mépris de la liberté de manifester.

Dérive autoritaire enfin d’un pouvoir qui s’obstine à faire passer de force et par les moyens les moins démocratiques un texte auquel s’opposent 74 % des Français.
« Au nom de la démocratie », sans doute ?

A cause de l’obstination de quelques uns à persister dans une politique dont personne ne veut et qui ne fait pas la démonstration de son efficacité, voilà que tout le pays va entrer dans une période de blocages, de transports difficiles, de déplacements impossibles, d’émeutes sporadiques spontanées, et de toutes les difficultés que le retrait de la loi pourrait faire disparaître en un instant. 




Car ne nous y trompons pas : pour un manifestant interdit de manif, ce sont cent nouveaux, mille nouveaux qui vont descendre dans la rue, pour un photographe interdit d’exercice, - et même si cette interdiction a finalement été rapportée- , ce sont mille nouveaux manifestants qui vont, avec leur smartphone, immortaliser le coup de matraque injustifié et la charge de la brigade lourde inutile et déplacée.

Il faut qu’ils s’y fassent : l’ère du numérique et de la caméra de surveillance aide beaucoup à lutter contre la délinquance, mais ça fonctionne dans les deux sens. On a changé d’époque…

Un manifestant, un photographe bloqué, cent, mille nouveaux descendent sur le terrain.

Il faudra bien qu’ils la retirent, cette loi.



Dernière minute:

Le Tribunal administratif saisi en référé vient d'annuler neuf interdictions de circuler sur les dix pour lesquelles il avait été saisi, au motif que

 "ces décisions  constituent une atteinte grave à la liberté d'aller et venir et à celle de manifester"...

D'après Bernard Cazeneuve, il y aurait eu 53 interdictions. Avant ou après la décision du tribunal administratif?

On croit rêver quand on voit un parti "socialiste" faire le bras de fer avec la classe laborieuse qui l'a suscité et élu....




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